Le premier antagoniste de Loup : le Grand Cheloup (Annexe : Le loup qui aimait les arbres) [Dossier][Maternelle][CP]
Aujourd'hui, nous allons parler d'un petit bouleversement dans le petit monde forestier d'Orianne Lallemand et Éléonore Thuillier, il s'agit de l'apparition du premier "méchant" présent dans la série, et il pourrait bien que ce ne soit pas exceptionnel et qu'il revienne ou que d'autres apparaissent dans les prochains tomes axés sur des thèmes sensibles.
L'auteur n'en est pas à son coup d'essai sur les thématiques liées à l'écologie puisqu'elle évoquait déjà le sujet sensible de la pollution dans le récit du "loup qui rêvait d'océan", toutefois le sujet était à peine survolé et son impact était amoindri comparé au récit du "loup qui aimait les arbres".
Peut-on y voir une forme de changement de cap de la part de l'auteur ?
C'est en effet l'hypothèse que je vais tenter de démontrer ici par l'intermédiaire du choix de l'auteur de faire apparaître dans ce tome un méchant : Le Grand Cheloup.
Tout d'abord, son apparition va surprendre le lecteur, pas habitué à voir un personnage "méchant" dans la série "Le loup".
Voyons en détails ce qui caractérise son apparition :
1° Il apparaît dans un contexte nocturne. Loup n'est lui-même pas très rassuré de monter la garde dans la forêt, ne sachant pas à quoi il va avoir affaire.
2° Ce n'est pas directement lui qu'on voit, mais une énorme machine en train d'arracher des arbres, ce qui accentue la suggestion de peur que Loup lui-même ressent, et ça introduit la première partie symbolique du personnage : les machines.
Loup se fait attraper par une pince puis enfermer dans une cage.
3° Après la capture de Loup, le Grand Cheloup apparaît, imposant et ténébreux, sur un fond sombre ("normal, il fait nuit", me direz-vous) avec une image de Loup dans une cage en premier plan.
Autant dire que pour faire passer cette scène pour une erreur du type "Oups, désolé, j'avais pas fait exprès", on repassera. Non, cette scène accentue bien au contraire que tout est fait volontairement.
Le contexte a introduit brièvement que ce méchant a un but manifeste : détruire la forêt.
L'auteur passe donc, sans perdre de temps, au sujet principal : le pourquoi.
Il fallait une justification béton pour que le méchant ait une substance, un fait pour lequel on puisse identifier sa raison d'agir, et l'auteur en a trouvé un plutôt bon : la barbrapapa.
Tout est cohérent, les arbres produisant une sève sucrée, c'est non seulement crédible mais réaliste, mais ce n'est tout, car il faut un argument supplémentaire pour que cela soit convaincant. Pourquoi le Grand Cheloup fait-il ça ? Pour faire découvrir au monde le bon goût de ses barbrapapas ?
On pourrait le croire au début, mais non, son but est tout autre : l'argent.
Le contexte a introduit brièvement que ce méchant a un but manifeste : détruire la forêt.
L'auteur passe donc, sans perdre de temps, au sujet principal : le pourquoi.
Il fallait une justification béton pour que le méchant ait une substance, un fait pour lequel on puisse identifier sa raison d'agir, et l'auteur en a trouvé un plutôt bon : la barbrapapa.
Tout est cohérent, les arbres produisant une sève sucrée, c'est non seulement crédible mais réaliste, mais ce n'est tout, car il faut un argument supplémentaire pour que cela soit convaincant.
Pourquoi le Grand Cheloup fait-il ça ? Pour faire découvrir au monde le bon goût de ses barbrapapas ? Pas si simple.
En réalité, le thème du progrès et des machines s'estompe. C'est la notion de profit et de rentabilité qui est ici mise en avant.
Son but, c'est : l'argent.
L'auteur prend donc le pari de faire penser au lecteur que ce n'est pas le progrès le souci, mais la démarche de profit. Pari réaliste, certes, mais risqué.
Accentuant aussi le côté méchant du personnage, le visage du Grand Cheloup marque des expressions montrant bien les idées qu'il véhicule : "j'aime l'argent, je me fiche de la forêt, je n'ai peur de personne".
Il est donc en opposition totale avec le reste du monde dans lequel vit Loup, car ni Loup ni Louve ni Valentin ni Gros-Louis ou même Demoiselle Yéti n'ont eu un jour un comportement allant en ce sens.
Au contraire, Loup et ses amis savent bien que la forêt est leur habitat, est précieuse et fragile, et qu'il faut en prendre soin. Mais pas seulement eux, puisqu'on croise également les Ours et les Castors lors du récit qui ont, eux aussi, une sensibilité accrue de la préservation de leur environnement.
Que symbolise le Grand Cheloup ?
Tout d'abord, il faut resituer le contexte du récit du Loup dans sa globalité.
Loup et ses amis vivent dans une forêt magnifique qui est tout pour eux, ils ont donc un instinct naturel de protection de leur "maison".
Jamais un habitant de la forêt n'a été volontairement faire quoi que ce soit qui pourrait porter atteinte à la forêt. Le Lecteur s'identifiera sans souci à Loup sur ce point : "La forêt est quelque chose de bien, nous en avons besoin, protégeons-la !"
Dans ce contexte, le personnage du Grand Cheloup, qui se fiche bien de la forêt, apporte une notion qui n'était jusque-là pas souvent évoquée dans les albums de Loup : l'argent.
En effet, la démarche écologique (incarnée par Loup) et la démarche financière (incarnée par le Grand Cheloup) sont bien en totale contradiction.
Petite parenthèse sur son nom :
1° Le nom du méchant, le Grand Cheloup, est une reprise du mot "chelou", "louche" en verlan, qui lui donne un air "cool" et permet de s'identifier un peu plus facilement à lui.
2° Son nom et son design ne vous rappellent-ils pas à vous aussi un méchant bien connu de Disney ? J'ai nommé : Pat Hibulaire. (dont le nom était assez explicite lui aussi, d'ailleurs)
Je referme ici la parenthèse, revenons à nos moutons.
Le Grand Cheloup symbolise donc ici l'argent et une vision du monde bien différente de celle de Loup et de ses amis.
Mais plus encore, il y a un passage dans le livre qui démontre bien que l'argent ne sera pas un ennemi facile à combattre en tout temps.
Ce passage, c'est celui où Loup explique à ses amis que la forêt détruite sert à créer les barbrapapas. La réaction de Demoiselle Yéti, qui s'écrie qu'elle aime bien les barbrapapas, démontre bien que l'aspect matérialiste et consommateur est un peu en chacun de nous et qu'il faut bien comprendre l'impact de ce que l'on fait.
Ainsi, lorsque Loup compare la forêt à son Himalaya et qu'il lui demande si elle sacrifierait son Himalaya pour des barbrapapas, c'est toute la symbolique du récit qui prend alors tout son sens.
Titi doit faire un choix entre la forêt et les barbrapapas, et fait le choix de sauver la forêt, montrant bien à Loup à quel camp elle appartient. On pourrait évoquer ici la sociologie et le sentiment d'appartenance de Titi au groupe de Loup et à la forêt (qui n'est pourtant pas son habitat premier, rappelons-le.), mais je choisis volontairement de faire abstraction de cet aspect qui n'est pas le thème du livre.
Alors, posons-nous la question :
Qu'aurions-nous répondu à sa place ? Assumons-nous notre choix ?
Défendons-nous notre opinion pour qu'elle soit entendue ?
Rien n'est moins sûr.
Si la réponse de Titi apparaît être simplement du "bon sens", il faut bien admettre que nous donnerions en large majorité la même réponse, mais agissons-nous dans ce sens ?
Orianne Lallemand introduit donc le concept de l'écologie appliquée, voire de l'écologie militante en quelque sorte, par l'intermédiaire du combat qui va suivre contre le Grand Cheloup.
Ici aussi, la symbolique est très marquée : ce ne sont pas uniquement nos amis qui le combattent, mais la forêt toute entière, incarnée par les arbres, les petits "Loutins" (sortes de petits esprits sylvains) et Titi elle-même déguisée en monstre de la forêt.
Plus encore, c'est la nature elle-même que Titi représente.
La nature qui se venge quand on s'attaque à elle, ce qui peut faire de multiples allusions à notre vie quotidienne, par exemple les inondations parce qu'on a construit trop de routes ou de bâtiments.
En conclusion de ce combat, le Grand Cheloup prend la fuite, mais rien ne dit qu'il ne reviendra jamais, comme le souhaitent nos héros, et qu'il y a au contraire fort à parier qu'il reviendra avec un nouveau moyen de gagner de l'argent.
Pourtant, le récit finit sur une note positive : Les loutins donnent à Loup une graine qu'ils lui disent de planter pour qu'un arbre magnifique apparaisse.
Ici, encore une fois, une symbolique bien placée : plantez des arbres, et qu'importe ce que vous planterez, cela aura pour vous une valeur toute particulière.
Difficile de dire si on entendra parler de cet arbre que Loup va faire pousser, car on le voit planter la graine à la dernière page du récit, mais aucune idée si un arbre véritablement particulier reviendra dans un prochain récit.
Le temps le dira.