Actualité : Les Talibans reprennent le pouvoir en Afghanistan [News][débat][Élémentaire]

Publié le par Hillslion

Actualité : Les Talibans reprennent le pouvoir en Afghanistan [News][débat][Élémentaire]

Vous vous dites peut-être qu'aborder à la rentrée 2021 le retour des Talibans au pouvoir en Afghanistan est une chose intéressante pour la culture de vos élèves ?
En soi, pourquoi pas, vu que le programme permet tout à fait d'accueillir des leçons sur l'actualité.
Néanmoins, il y a des pièges qu'il faut éviter, et c'est ce que nous allons essayer de voir ici :

- Le premier, c'est d'éviter ce sujet avant le cycle 3 car il contient des notions avancées de psychologie et un esprit ouvert et critique sur ce que vous allez leur dire.
- Le second, c'est qu'il convient d'éviter le parti pris "le mode de vie occidental > mode de vie des talibans". Il convient, autant que possible, de rester factuel en se centrant bien sur "la transition".
- Le troisième, c'est de veiller à ce que le débat soit orienté sur les questions qu'il suscite.
Toutes les questions n'auront pas forcément de réponse, car certaines questions sont ouvertes et relèvent de la sensibilité de chacun, mais rester centrés autour des questions amènent le débat et la discussion.



 

Actualité : Les Talibans reprennent le pouvoir en Afghanistan [News][débat][Élémentaire]

Tout débute par un tweet, le mien, qui avait pour but de bien rappeler que la liberté d'expression est un concept qui n'a pas lieu partout.
Je n'aurais probablement pas cru que cela puisse susciter autant de réactions et un tel engouement, mais si c'est le cas, c'est peut-être parce qu'il est bon de rappeler des choses qui, en apparence anodines pour moi, peuvent être l'actualité brûlante de d'autres.

À l'instar de Pierre Desproges qui disait : "On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde", il convient de faire ici un parallélisme légitime "On peut parler de tout, mais pas avec n'importe qui".
Cet exemple, on peut l'appliquer à diverses choses du mode de vie occidental, que ça soit le droit des femmes, la liberté de la presse et même, plus simplement, les liberté d'expression et de penser.

Or, pour revenir plus directement au sujet, que se passe-t-il quand, dans un pays où on a tenté de faire prospérer une démocratie, un mode de vie occidental et donc une notion de liberté relativement nouvelle, tout s'écroule alors au profit d'un retour en arrière comme cela risque d'être le cas ?
Finalement, les prises de paroles des Talibans, prônant la restauration d'une constitution basée sur la Charria, autrement dit une loi islamique basée sur un écrit tellement vieux qu'on peut appliquer un peu tout et n'importe quoi selon son bon vouloir, il suffit pour cela de constater les écarts gigantesques entre les pays qui ont fait le choix de se baser dessus, que ça soit en Arabie Saoudite, au Soudan ou en Égypte.
Une simple comparaison entre ces pays suffira à vous dire que le support, on en fait relativement ce qu'on veut avec plus ou moins de radicalité sur les sujets des femmes, de la presse... mais pas seulement.



On vous donne le goût de la liberté, puis on vous la reprend

Je ne m'attarderai pas sur la politique américaine, la justification de la guerre ou ses enjeux, ce ne sont pas ici les sujets que je souhaite aborder car je ne les maîtrise pas et que je n'ai pas les éléments nécessaires pour en débattre.
Toutefois, on peut commencer par aborder les faits : les afghans fuient désormais le pays.

 


Les faits sont donc là : certains afghans ont peur pour leur vie au point de préférer la risquer en prenant un avion en plein décollage que de rester.
Le retour en arrière est donc pour eux, après près de 20 ans de guerre, une chose qu'ils ne peuvent accepter mais ne peuvent pas pour autant combattre.
En effet, que faire face à une milice armée reprenant le contrôle du pays, morceau par morceau, suite au retrait des troupes américaines ?
Que peuvent faire des hommes seuls et non armés pour défendre cette liberté face à des gens qui, eux, sont bien armés ?
Fuient-ils tous ? Peut-être pas, mais est-ce à dire que, s'ils le pouvaient, ils ne changeraient pas les choses ? Difficile à dire mais tout aussi difficile de quantifier le pourcentage de la population en faveur de l'ancien régime comparé à celui en faveur des Talibans.

Mais alors, pourquoi fuient-ils ?
La réponse est simple et évidente : ils ont PEUR.

Si on simplifiait cette question avec le schéma suivant, on peut entrevoir des raisons pour eux d'avoir peur.
Imaginez : vous êtes un pays conservateur avec des valeurs très ancrées et une tradition de longue date, et, un beau matin, vous voyez votre pays devenir progressiste, plus moderne, plus libre et cette notion de progrès continue durant plus de 10 ans, puis un jour s'arrête parce que les conservateurs ont décidé que ça devait s'arrêter.
Cette notion de progrès, beaucoup l'ont soutenue, en particulier les jeunes, les femmes, les enfants... Pourquoi ? Parce qu'ils ont peut-être des rêves ou des projets qui étaient compatibles avec l'ancien régime politique mais qui sont aujourd'hui incompatibles avec le nouveau régime.

Que se passe-t-il alors lorsque ces conservateurs reprennent le pouvoir ? Comment vont-ils considérer ces gens qui ont préféré une autre façon de vivre que celle d'autrefois, celle chère à leurs ancêtres ?
Ces jeunes, ces femmes, ces enfants, comment vont-ils être perçus avoir avoir "collaboré" avec ce régime progressiste ?

Ont-ils raison d'avoir peur ? Sans doute.
Est-ce possible pour eux d'encore vivre dans ce pays si ce qu'ils ont connu durant 10, 15, voire 20 ans est remis en cause ? Là, c'est une question épineuse.


À travers mon tweet, j'ai fait une piqûre de rappel et en somme, voici ce qu'était mon message :
"Si j'avais été dans cette situation et que j'avais eu le choix de pouvoir partir, je pense que, comme eux, moi aussi je serais parti, car espérer vaincre une kalash et une tradition millénaire basée sur une religion, c'est au-dessus de mes forces."
Je ne sais pas qui a armé les Talibans, mais le peuple lui n'est pas armé et ne peut pas se défendre, donc autant aller mener une vie libre ailleurs que d'espérer un retour progressiste qui n'arrivera probablement plus jamais.
Voilà ce que se sont probablement dit tous ces gens qui attendent sur le tarmac de cet aéroport,
ceux qui attendent et qui vont, je l'espère pour eux, embarquer dans un avion dès qu'ils le pourront.

 

Actualité : Les Talibans reprennent le pouvoir en Afghanistan [News][débat][Élémentaire]


Certains diront qu'il faut du courage pour se battre, et c'est sans doute vrai pour bon nombre de situations et de combats, mais dire que la fuite est un choix lâche n'est pas une vérité pour autant, car il en faut du courage pour fuir un pays dans lequel on a toujours vécu, il en faut du courage pour aller vivre ailleurs dans un environnement dont rien ne nous garantit qu'il nous sera favorable, et enfin, il en faut du courage pour affronter le pire ennemi de ce type de situation : la pression sociale.



Car oui, c'est bien cela, le sujet principal de cet article :
la pression sociale.
Pour autant, ce n'est pas passer à côté du sujet que d'avoir résumé ainsi la situation du pays, ou en tout cas sa finalité actuelle, car ça permet d'appréhender les questions suivantes qui vont orienter les discussions lorsque vous aurez à présenter ce débat (voir fin de l'article).

La Charria, loi islamique, donne les pleins pouvoirs à l'homme, au père, au mari.

1° Cette société patriarcale, telle que voulue dans les écrits, permet donc à l'homme de décider de tout, et son autorité étant religieuse, elle ne peut être discutée.
2° Les bonnes pratiques sont décidées en accord avec la religion, avec plus ou moins de radicalité selon les pays, certains étant plus progressistes, d'autres plus conservateurs, que d'autres.


Rien qu'en prenant ces deux exemples, vous avez un parfait cocktail qui fait qu'une femme progressiste risque de ne pas aimer la place qui va lui être donnée lors de ce retour aux sources.
Je pourrais ici citer les droits suivants : le droit de vote, le droit de mariage sans consentement du père, le droit de divorce sans consentement du mari, le droit de disposer de son corps (mariage forcé, voile partiel ou intégral, ...), droit de conduire...

Imaginez : vous êtes une femme et qu'on vous a donné le goût de pouvoir faire ce que vous vouliez, le goût risque d'être amer.
Vous vous êtes imaginée grande scientifique, et on vous demande de rester à la maison, faire à manger et vous occuper des gosses, comment le vivriez-vous ? Est-ce ce dont vous auriez envie pour votre famille, pour vos enfants ?
Si vous refusez de vous soumettre à cette pression sociale, que vous risquez fort de concevoir comme une dictature sociétale, quels sont vos choix, finalement ?
La démocratie n'étant plus une option et le soutien international n'arrivant visiblement pas, n'en arriveriez-vous pas à la même finalité, à savoir la fuite ?
Vous sentiriez-vous encore chez vous si demain votre pays subissait la même chose et que vous n'aviez pas d'espoir que cela change ?

Un autre exemple :
Imaginez : vous avez apprécié la liberté pendant 10 ans, vous l'avez revendiqué, promu par différentes actions en faveur du progrès, et tout à coup, vous deviendriez un ennemi du régime en place, comment vous sentiriez-vous ?
Imaginez : vous êtes un journaliste qui a apprécié cette liberté de la presse pour pouvoir faire des articles qui n'ont sans doute pas plu aux Talibans. Vous êtes désormais poussé à rédiger des articles en faveur des Talibans et uniquement en ce sens, et vous ne pouvez plus parler de certains sujets qui fâchent.
Ou pire : vous avez remis les Talibans en question, et ils sont désormais au pouvoir.
Comment vous sentiriez-vous dans chacun de ces cas ?

Un dernier exemple :
Vous êtes né dans cette période de progrès, et vous n'avez jamais connu ce qui existait auparavant. Allez-vous vous y habituer ? Comment allez-vous le percevoir ?



Voici les questions d'actualité qui émergent donc de ce changement de situation de l'Afghanistan.
Pour l'heure, le régime n'a pas fait de commentaire ou de changement notable, et nous verrons dans les prochaines semaines quel genre de régime apparaîtra en Afghanistan.
Sera-t-il radical ou plus souple ? Tiendra-t-il compte des 20 années passées ?
Le temps le dira.

Edit : Les nouvelles vont très vite, le temps de rédaction de cet article, une nouvelle est tombée.
Le porte-parole des Talibans a en effet déclaré que les femmes fonctionnaires afghanes pourraient retourner travailler dès que la sécurité le permettrait, c'est déjà, en soi, une parole qui se veut partiellement rassurante quant au droit des femmes.


 

Le Point de vue pédagogique 

Face aux enfants, il vous appartient de mettre en lumière, sans jugement, les points suivants :

1° La transition d'un pays, d'un mode de vie à un autre.
=> Abordez les deux modes de vie, le statut de la femme, le statut des libertés.

Introduction :
Depuis 20 ans, les Américains sont en Afghanistan pour essayer de bâtir une démocratie.
Pour beaucoup d'Afghans, la présence américaine dans le pays offrait une bouffée d'air face à un pays gouverné par les Talibans, un groupe Islamiste armé, autrement dit un groupe qui considère que la religion passe au-dessus des lois et que c'est elle qui est la seule vraie valeur.
Les Américains ont donc instauré une démocratie, une élection, et un gouvernement a été formé.
Cependant, l'arrivée des américains a créé un probable fossé dans le pays, où certains apprécient leur présence et où d'autres ne souhaitent pas leur présence.


2° Le sentiment de ceux qui vivent cette transition, dans un sens puis dans l'autre.
=> Ici, on peut commencer par définir le concept de liberté.

À la manière de l'ouvrage "Le loup qui voulait aller à l'école", on peut définir ce que représente pour chacun la liberté et une vie idéale.
Reprendre au tableau les idées énoncées par les élèves, faire une synthèse.


Le peuple peut-il faire quelque chose face à un groupe armé ?
=> Attention, ce genre de débat peut ne pas faire l'unanimité dans votre classe, ménagez donc totalement la susceptibilité des différentes catégories sociales et religieuses de votre classe.
Gardez en tête que promouvoir la liberté est en général une bonne chose sur le papier, mais n'oubliez pas non plus que d'autres, comme Samuel Paty, en ont fait les frais.
Si vous sentez que le débat est possible, sondez néanmoins bien les participants au débat au préalable, car même à 8-12 ans la pression sociale, tant dans un sens pour promouvoir la liberté à fond que dans l'autre pour dire que la religion est toute-puissante et qu'il n'y a rien au-dessus, peut déjà être très forte.
Comment ?
=> Privilégiez l'ouverture d'esprit avec des formules comme "Et si... ?" "Et pourquoi pas ...?" "Ce serait peut-être bien que..." de façon à ne pas avoir un discours stigmatisant et privilégier la parole de l'assemblée plutôt que la vôtre. Si ce que vous alliez dire vient d'eux, c'est encore mieux !
=> Rappelez plusieurs fois si nécessaire que ce n'est pas la religion en tant que telle qui est ici pointée du doigt, mais son application.
Les Talibans sont un groupe islamiste armée, pour rappel, et certains pays appliquent la Charria différemment de d'autres.
=> Vous pouvez faire des comparaisons avec des questions comme "dans certains pays, les femmes peuvent conduire, d'autres non. Certaines doivent porter le voile intégral, d'autres non." Etc...
Sondez votre classe pour voir qui pense quoi, et vous pouvez les faire interagir entre eux pour qu'ils développent leur argumentaire. Plus vous les ferez parler, plus vous pourrez rebondir ce qui sera dit sans avoir forcément à le dire vous-même. :)





N.B. :
À titre personnel, j'admets totalement être de l'école de la liberté et que, dans le cadre de ma démarche de penser, je souhaite promouvoir le potentiel de chacun plutôt que des restrictions.
Ma démarche globalement scientifique n'exclut pas la religion ni la pression sociale (même venant d'ailleurs que de la religion) tant que celles-ci ne sont pas une entrave à la vie des gens et tant qu'elles ne constituent pas une gêne dans la vie de tous les jours.
Ce principe se veut parmi les fondements les plus simples de la Laïcité et de la liberté individuelle, et j'apprécie que chacun puisse vivre selon ses envies, ses convictions et ses croyances tant qu'il n'y a pas préjudice à autrui.

Il est cependant difficile de donner plus d'outils concrets car le terrain glissant de la religion rend déjà ce débat difficile, et selon les discours que vous recueillerez, vous pourriez être amenés soit à avorter très vite le débat en cas d'auditoire n'ayant pas la volonté de débattre parce qu'on ne débat pas sur une religion (même à cet âge, ça arrive), soit à aller même potentiellement plus loin que le débat initial si votre auditoire est sensible et bavard sur ce sujet et qu'il y a des débats intéressants entre élèves, ou peut-être des pistes que je n'ai pas évoquées ici.

Si vous souhaitez discuter de ce sujet en commentaire, n'hésitez pas :)

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